Chronique de Bonnie le chat: épisode 9

Publié le 26 Mars 2015

On est là, côte à côte sur le balcon, le mien.

Il a un meilleur angle de vue sur le trottoir d'en face, celui des meilleur boulanger, boucher et caviste du quartier, et donc celui où se passent les évènements les plus croustillants du jour, quand les gens font la queue et qu'on a tout le temps de les détailler et de tendre l'oreille pour les écouter.

Parmi eux, se trouve toujours une femme plus ou moins enceinte et Clyde ne manque jamais de la scruter pour essayer de percer ce qui représente pour lui l'un des grands mystères de la vie...

Celle que nous avons en vue est reconnaissable à cette marque de fabrique assez commune : le sourire tranquille du bonheur béat, ou l'inverse, avec ce geste récurrent qui vient vérifier régulièrement que le futur petit d'homme n'a pas glissé hors cocon.

C'est ainsi que Clyde explique la chose..

Et d'un seul coup d'un seul, mon copain, qui sait parfaitement que j'ai déjà eu une portée de trois beaux enfants que j'ai pu placer sans problèmes en foyers d'accueil tant ils étaient trognons et bien élevés, surtout bien élevés d'ailleurs, me demande alors si j'étais dans le même état d'extase continue avant de mettre bas.

Je lui réponds que pas du tout, que j'étais constamment dans le doute.

Celui d'être, ou pas, une future bonne mère, bien sûr, merveilleusement allaitante, et qui saurait donner à ses rejetons une éducation exemplaire, avec des règles d'hygiène efficaces et rapides, une obéissance aux adultes sans trace de rébellion et une acuité cognitive enviable.

Mais j'étais aussi habitée par le doute d'avoir fait le bon choix, je parle de la maternité, alors que mon naturel de femelle indépendante et curieuse me poussait à m'épanouir en dehors du cercle familial et à cultiver mon propre jardin

Ma seule consolation était de me dire que de toute façon, de choix je n'avais point eu.

- Et...Résultat ?

- Heureusement, j'ai pu m'en ouvrir autour de moi...Je parle de la patronne.

- Elle aussi a connu les questionnements autour de la maternité ?

- Non, mais tu sais bien qu'elle a un avis sur tout.

Et elle lit beaucoup

Et figure-toi que ce fameux doute qui pointe de temps en temps et qui peut aller jusqu'au regret...Eh bien, c'est tout à fait normal.

Il paraît même qu'on a le droit d'être morose, de regarder le matou d'un œil noir en pensant qu'il va pouvoir se la couler douce pendant qu'on aura nos nuits entrecoupées par les couinements de notre progéniture insatiable, qu'on est autorisée à imaginer avec déjà beaucoup de fatigue ces séances de jeux incessants auxquels il faudra répondre présent à moins d'être cataloguée « mauvaise mère ».

Il se murmure que les envies de voyage au moment où ce n'est plus possible sont légion, qu'il y aurait même de plus en plus de fugues de futures mères, qu'elles n'acceptent de revenir au foyer qu'avec la promesse que la fée « Multitâches » intègrera illico la famille et qu'elles ont parfois une espèce de désir irrépressible de liberté qui les pousse même à un brin de rancoeur mauvaise.

- Ben dis-donc, j'en apprends de belles...On est loin des images d'Epinal !

Je comprends mieux que tu n'aies pas renouvelé l'expérience !

- Non, moi c'est particulier.

J'ai eu un problème de santé.

Je ne pouvais plus avoir d'enfant.

- Désolé...Remarque, à t'entendre, ça n'a pas dû être dramatique...

- Ne crois pas pas cela.

Le monde des sentiments est complexe tu sais, et je...oh et puis t'es mon copain après tout.

Je vais te le dire...J'ai demandé à la patronne de m'emmener chez le véto et il m'a opérée sans délai de réflexion.

Pas besoin, lui ai -je précisé, je cogite sévère depuis ma dernière grossesse.

Et voilà...

- Ben pourquoi tu racontes des craques ? C'est ta vie après tout .