belleville-sur-rue: Saint-Louis entre deux eaux, suite

bande son de la chronique

 

 

http://sphotos-g.ak.fbcdn.net/hphotos-ak-ash4/247957_2163246324144_5344882_n.jpg

 

 

 

Le contact avec les saint-louisiens est plutôt facile, mais il est fréquent de s’empêtrer dans les méandres historiques, politiques et sociaux qui sous-tendent les relations franco-sénégalaises. Colonisation, expatriation, coopération, et ONG peuplent l’imaginaire populaire saint-louisien, et dans mes rapports aux gens, à toutes les échelles, la confusion règne souvent entre ce que je suis, et ce que l’on voudrait que je sois, sans que j’arrive toujours à démêler la place que je voudrais occuper de celle que l’on me donne, celle qui est souhaitable de celle qui est possible.

 

Dans le quartier de Sor, assise au pied d’un arbre, je discute politique avec un vieil homme ; Saint-Louis est une ville d’opposition, et le maire s’est illustré en s’enchainant aux grilles de l’Assemblée Nationale pour protester contre la réforme de la Constitution au mois de mai, et en battant le pavé place de l’Indépendance avant le premier tour des présidentielles. La politique passionne les foules au Sénégal, et l’approche de la présidentielle a fait le lit des journées entières de palabres virulents. Au fil des minutes, une foule se regroupe autour de nous, et chacun a son mot à dire sur la tenue du pays par Gorgui (« le Vieux », surnom de Wade) : « C’est pour la galerie, qu’est-ce qu’on en a à foutre des statues ? C’est quoi des statues ? Nous on a des cailloux dans le ventre ! », « La culture c’est pour endormir les jeunes ! », « Des voleurs ! », « Non, c’est pire que ça ; c’est des affamés, et ça c’est pas bon pour un pays ! », « Le social ça n’existe pas au Sénégal, le social c’est dans la langue », « Une femme est venue pour poser des questions, aujourd’hui c’est toujours inondé, rien n’a changé, et la femme n’est pas revenue », « On ne sait pas où passer pour parler. La révolte, c’est un produit de luxe ! »

 

http://sphotos-g.ak.fbcdn.net/hphotos-ak-ash3/578793_4440495573952_1717124292_n.jpg 

 

« Vous, il faut aller porter les doléances ! ». Une femme entre deux âges me saisit par le bras et me fait entrer chez elle. Dans la cour s’amoncellent bidons d’eau, bassines multicolores, cages à poules et enclot à mouton.  La concession se décline au féminin : pas de maris ici, ils vivent à Dakar, car « il n’y a pas de travail ici ». Yassine est la chef de famille, son mari est parti depuis 7 ans en Europe, en Italie « il nous a abandonnés ». Dans les cris et les rires, je suis présentée à chacun des membres de la famille, et arrachées chaque fois à des embryons de conversation pour être poussée vers de nouveaux visages. Finalement, on m’assoit sur une chaise et, malgré mes dénégations, non non, je ne suis pas d’une ONG, je suis juste étudiante, je dois prendre en note les besoins, souhaits et espoirs de chacun. La petite Khady, veut devenir hôtesse de l’air, Noumbé, sa tante, veut retrouver son travail à la cuisine centrale du CROUS à l’Université Gaston Berger, Kinedja, une autre tante, voudrait qu’on vaccine à nouveau ses enfants contre la rougeole, car trois sur cinq sont couverts de boutons alors que tous sont passés par le dispensaire, Yassine veut juste dire qu’elle est « très fatiguée », Aminata, la grand-mère, a de la tension, et « n’arrive pas à se soigner », Khadyssatou Ndiaye, suit une formation de styliste à Pikine, et veut « devenir une grande styliste », quant à Mame Penda, elle voudrait « vraiment, vraiment, avoir un visa pour aller en France ». Je repars avec les rêves d’une famille entière, dix lignes dans mon carnet de terrain, d’où ils ne sortiront probablement jamais...

 

http://sphotos-e.ak.fbcdn.net/hphotos-ak-snc6/249975_2148194267852_2536367_n.jpg

 

 

A 15h, c’est l’heure de « la descente » : leur journée terminée, les continentaux reprennent le pont Faidherbe en sens inverse. Les collégiens et lycéens de l’île se mêlent à leurs congénères de Sor, et on ne voit bientôt plus que le patchwork de leurs uniformes colorés. Par petits groupes, mixtes le long des grandes artères, unisexes dès qu’ils pénètrent au cœur des quartiers, garçons et filles utilisent le chemin du retour pour se chahuter, à grand renfort de bourrades, d’œillades et de rires pointus. Loin du regard de la parentèle ou du voisinage qui scanne minutieusement les allers et venues dans les rues et ruelles, la jeunesse saint-louisienne s’essaie à la drague périphérique. Certains se tiennent la main, la lâchent et la reprennent quelques rues plus loin, d’autres cheminent à deux, rattrapent un groupe avant de se laisser distancer à nouveau quelques pâtés de maison plus loin. La sortie des classes trace les contours d’une étrange géographie du cheminement amoureux.

 

 

 

Fin de "Saint-Louis entre deux eaux" lundi prochain

 

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :