Saison 2: épisode 10

Publié le 8 Novembre 2012

 

 

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Photo: Eric Dijoux

 

 

     musique de l'épisode


 

Fred  -Un an plus tôt…Autre temps, autre ton…

 


"La seule chose que je sais, c’est que je suis dans une cellule dont on ne s’évade pas…"

Chaque fois que je traverse la porte Clignancourt, les paroles de Mesrine me chatouillent la mémoire et je ne peux m’empêcher de tourner le regard vers l’endroit de la place où l’épilogue de son aventure s’est terminé dans le sang.

Le sien.

Certains disent que dix-neuf impacts de balles ont été relevés, essentiellement dans sa poitrine. D’autres précisent que l’ennemi public numéro un des années soixante-dix a été abattu « sans sommation » et les plus mauvaises langues assurent qu’un flic l’aurait achevé d’une balle dans la tête après la fusillade.

Pour le faire taire ou l’empêcher de s’évader à nouveau ?

J’ai béquillé juste en face, au coin du boulevard Ney, près de l’arrêt du 85.  Je guette l’arrivée d’une Golf noire qui doit poindre le bout de sa calandre sur ma gauche en sortie du boulevard Ornano.

Cela fait plusieurs mois que je n’ai pas zoné dans ce quartier du nord de Paris, à un jet de pavé de la banlieue et de l’impasse où j’ai grandi, mais tout à coup, alors qu’une chiure d’oiseau vient s’écraser sur le trottoir à moins de cinquante centimètres de mes Doc Martins, je me souviens avoir survolé le coin quelques nuits auparavant.

Paraît que ce sont les mômes qui planent dans les airs en rêvant et que ces plaisirs nocturnes nous quittent en vieillissant. La quarantaine bien tassée, je dois toujours être un peu adolescent ou je l’étais encore la semaine dernière parce que cette nuit-là, entre les bras de Morphée et après une soirée très arrosée, je me métamorphosais en pigeon voyageur…

Le songe débutait sur les escaliers de Montmartre, près de la cabine de débarquement du funiculaire. Une mamie, dont les doigts arthrosiques peinaient à briser le pain dur et à l’effriter pour tous mes frères ailés de la butte, me fixait de son regard perdu.

D’un claquement d’ailes, j’abandonnais sur son banc la vieille au visage parcheminé, m’élevais au-dessus de la flèche du Sacré-Cœur et piquais vers la mairie du dix-huitième arrondissement. Je longeais la rue du Mont Cenis et après un regard nostalgique vers le 37 de la rue Ordener où sous les toits, un vieux nid était toujours abandonné, je planais un moment au-dessus de la porte Clignancourt.

En ce matin froid de novembre 79, une nuée de képis s’affairait autour d’une BMW 520i criblée d’impacts de balles…

Adieu Jacques.

Je me posais un instant au sommet du feu rouge de la rampe de sortie du boulevard périphérique, côté Saint-Ouen, et je m’amusais à épier les automobilistes fébriles se hâtant de verrouiller leurs portières à l’approche de Djibril et Mongi, deux gamins armés de vaporisateurs et de raclettes qui se précipitaient sur les pare-brises souillés par les fientes de mes congénères…

Je sors de ma rêverie lorsque le clope oublié entre mes doigts me crâme l’épiderme.

Toujours pas de Golf noire en vue…

 

Mon nouveau job n’est pas follement amusant. Pourtant, en ouvrant mon agence de privé l’an dernier, je rêvais d’enquêtes passionnantes, de sombres mystères, de complots et d’intrigues baignés dans une atmosphère « Chandlérienne ».

A l’époque, je rentrais de Dublin où je m’étais trouvé mêlé à une histoire de meurtre. Encore amateur, je m’en étais plutôt bien tiré et cette aventure n’était sans doute pas étrangère à ma décision d’ouvrir une officine de détective avec pignon sur rue et licence agrée.

Après avoir joué la taupe chez les nationalistes bretons pour le compte du ministère de l’intérieur, j’avais conservé quelques contacts utiles place Beauvau et deux coups de téléphone m’ont suffi pour obtenir toutes les autorisations. Huit semaines plus tard, j’ouvrais mon agence dans le onzième arrondissement.

Depuis six mois, la recherche d’objets perdus alterne avec les filatures monotones. Pas de quoi jouer les Philip Marlowe. Je poste à la sortie des lycées comme un vieux satyre en quête de chair fraîche. J’espionne les ados des beaux quartiers parisiens, tendance satanique griffée, pour rapporter à leurs vieux inquiets les noms de leurs fréquentations douteuses. Je file des collégiens lookés « Peace and Love » aux dreads locks L’Oréalisées pour m’assurer que leur consommation de produits délictueux ne dépasse pas le chichon de qualité, limite autorisée par leurs géniteurs ex-maos repentis. Et le must dans mon quotidien de détective, comme le maille d’aujourd’hui, c’est l’enquête sur le conjoint adultère.

Depuis six jours, je colle aux basques d’une bourgeoise qui s’envoie en l’air en dehors des normes conjugales autorisées. Par deux fois, les tourtereaux se sont planqués pour leurs ébats amoureux dans un petit hôtel du quartier Sainte- Marthe, à deux pas de mon bureau. J’ai quand même facturé le déplacement sur la note de frais.

Y’a pas de petit profit.

Pas compliqué de faire des clichés du couple illégitime sous le porche de l’hôtel de leur escapade, d’immortaliser leurs regards pressés à l’entrée et bordés de reconnaissance à la sortie.

Dans les histoires de couple, jouer le voyeur et m’immiscer dans la vie intime de l’une, enfiler le costard du « petit père la vertu » et me taper le discours moral sur la fidélité, les liens sacrés du mariage de l’autre… Tout ça m’emmerde et je suis pas très fier de jouer les délateurs zélés mais j’ai pas trop le choix. Je compresse mes tarifs pour me tailler une place sur la place et mes bénéfices sont à peine suffisants pour éponger le remboursement mensuel de mon emprunt bancaire. M’a fallu investir un minimum pour me lancer dans l’investigation !

Pour les déplacements, j’ai opté pour une bécane pas trop gourmande en carburant et bien moins sujette aux prunes de stationnement interdit. Plus souple et plus rapide pour circuler dans Paris.

Et puis merde, ça me faisait plaisir…

J’ai investi également dans un appareil photo numérique équipé d’un zoom puissant pour shooter sans être repéré. J’ai complété l’équipement par un ordinateur et une imprimante de façon à être autonome sur le tirage papier et garantir une totale discrétion au client sourcilleux de sa vie privée.

Le matos informatique est installé dans un appart rue du Faubourg du Temple dont le loyer est inversement proportionnel à la superficie. Quatrième et dernier étage sans ascenseur, une cuisine minuscule, une chambre lilliputienne et une salle de bain pour nain … Rien de trop !

La chambre est meublée d’une commode pour mes fringues et d’un matelas qui m’évite ainsi de multiplier les charges locatives. Je dors à l’agence mais n’y mange jamais. La cuisine, vide de tout équipement électroménager, est devenue mon bureau. Unique rescapé, un frigo ridicule au contenu exclusivement liquide tient compagnie à une cafetière poussive qu’aurait besoin d’un détartrage. Faudra que j’en parle à Claire.

Claire… Ma secrétaire à temps partiel qui émerge difficilement d’une grosse galère sentimentale et qui replonge dans ses études en droit, histoire de pas se faire baiser à nouveau lors de son prochain divorce. Je l’ai embauchée pour assurer le secrétariat de l’agence ; elle passe au bureau deux fois la semaine pour remettre un peu d’ordre dans la paperasse et, sans que je lui ai demandé, dans le reste de mes affaires.

Petite touche féminine pas désagréable.

Sa présence continue est inutile et des horaires précis complètement injustifiés. Tous les premiers contacts avec les clients potentiels se font par téléphone ou par le net. Je lui ai payé un portable et elle gère les appels de la fac ou chez elle.

C’est pas compliqué, elle prend tout ce qui se présente : objets perdus, baby-sitting ou constat d’adultère…

Faut alimenter la cafetière, remplir le frigo-mini-bar pour mieux l’assécher et rembourser les emprunts !

Le seul problème avec Claire, c’est qu’elle habitait à l’autre bout de la capitale. Dans le 18è, justement pas très loin de la porte Clignancourt où m’a conduit ma filature du jour. Elle ne supportait plus les traversées de Paris bi-hebdomadaires en métro et j’ai dû trouver les moyens de l’aider à payer un loyer dans le quartier. Sinon, elle aurait bientôt  craqué, je le sens.

Claire m’a bien proposé une alternative, alléchante pour mes finances et pratique pour son taf à elle. C’est de loger chez elle. Ne vous méprenez pas, je veux dire dans son nouvel immeuble. Elle habite au troisième et l’appart du premier est libre. Et le job afférent également. C’est la loge du concierge. Logement gratis. Juste la flotte et le jus à charge. Des horaires de présence très précis mais quelques heures de liberté par jour pour pouvoir enfiler une deuxième casquette et continuer à jouer les détectives...

 

Texte: Très large contribution de Frank Boulabi

Rédigé par belleville-sur-cour

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S
C'est avec grand plaisir qu'on retrouve la plume polardeuse de Frank. Un angle original pour visiter Paname.
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B
<br /> <br /> Merci Samuel!<br /> <br /> <br /> <br />
E
J'aime bien cette petite virée dans Paris à la sauce polar
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B
<br /> <br /> Merci Eric!<br /> <br /> <br /> <br />
C
Tiens tiens, après Ricardo, nouvelle surprise...Je me disais bien que sa fonction de concierge n'expliquait pas tout
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B
<br /> <br /> Chacun sait que derrière chaque charmant  concierge se cache un chasseur chanceux...<br /> <br /> <br /> A répéter 10 fois<br /> <br /> <br /> Merci Clarisse!<br /> <br /> <br /> <br />
I
Cette petite touche de polar à l'Américaine est bienvenue!
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B
<br /> <br /> Merci Isa!<br /> <br /> <br /> <br />